Auteur : Jean-Philippe PAYET, Consultant en intelligence stratégique (payet@afrikasources.com)
24 octobre 2017: la Commission Européenne a adopté une nouvelle feuille de route pour ses relations avec les RUP. Elle entend toujours tirer parti de leurs atouts uniques pour ouvrir de nouvelles perspectives à leurs citoyens, doper leur compétitivité et promouvoir l’innovation dans les secteurs prioritaires, tout en renforçant la coopération avec leurs pays voisins. Mais elle pose surtout le principe d’un partenariat à 3 avec « personnalisé » pour chaque RUP avec leurs Etats membres.
On peut considérer que la singularité des régions en « marge » de l’espace continental européen a été reconnue dès le traité de Rome de 1957 dans son article 227-2 pour les Départements d’outre-mer français (DOM) mais sans que le texte ne se décline en avancées réelles.
Avec l’adhésion de l’Espagne et du Portugal en 1991, les territoires de Madère, des Canaries et des Açores viennent faire émerger un nouveau concept d’ultrapériphéricité et un statut particulier est reconnu à ces entités pour la première fois dans une déclaration annexée au traité de Maastricht de 1992. Depuis 2009, les Régions Ultrapériphériques sont identifiées à l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui y précise la façon dont le droit européen peut y être adapté.
Le statut de région ultrapériphérique (RUP) s’applique aujourd’hui à neuf territoires appartenant à trois Etats membres de l’Union européenne : la France (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte, La Réunion et Saint-Martin), l’Espagne (îles Canaries) et le Portugal (Açores et Madère).
Les régions ultrapériphériques sont, comme les autres territoires de l’Union européenne, soumises au droit européen mais avec certaines spécificités résultant en premier lieu de leur éloignement géographique. De ce fait, les RUP se distinguent des 26 « pays et territoire d’outre-mer » (PTOM) qui, bien qu’étant sous la souveraineté de plusieurs Etats membres, ne sont pas membres de l’Union européenne.
En outre les institutions de la Communauté doivent « veiller à [en] permettre le développement économique et social » grâce notamment à un délai de mise en œuvre du droit communautaire allongé. Dans cette optique, la Commission a défini des actions en faveur des régions ultrapériphériques à travers une série de quatre communications sur les régions ultrapériphériques (2004, 2008, 2012 et 2017).
En préparation à l’adoption des dernières propositions de la Commission Européenne, les Régions Ultrapériphériques ont adopté un Mémorandum conjoint présenté lors du 4ème Forum des RUP qui s’est tenu les 30/31 mars 2017 à Bruxelles.
Dans ce texte, les neuf régions ont demandé à la Commission européenne de tirer pleinement les conséquences de l’Arrêt Mayotte du 15 décembre 2015 de la Cour de Justice de l’Union Européenne et d’effectuer un saut qualitatif majeur dans la prise en compte des RUP au sein des politiques de l’Union européenne. Ces attentes concernaient par exemple la mise en place d’un régime de compensation des surcoûts de la pêche, l’étude des impacts de la législation européenne sur les RUP, un appel à projet spécifique H2020 ou encore l’ouverture régionale via un Erasmus +.
La réponse de la Commission est venue dans sa Communication du 24 octobre 2017 intitulée: «Les régions ultrapériphériques de l’Union européenne: vers une nouvelle approche » qui propose un cadre partenarial « renouvelé ». Les RUP sont invitées à tirer parti de leurs atouts uniques pour ouvrir de nouvelles perspectives à leurs citoyens, à doper leur compétitivité et à promouvoir l’innovation dans les secteurs comme la pêche, l’agriculture ou le tourisme, tout en renforçant la coopération avec leurs pays voisins.
Le texte présentée par la Commissaire européenne à la politique régionale Corina Crețu en présence notamment de l’eurodéputé réunionnais Younous Omarjee, auteur d’un Rapport sur « Promouvoir la cohésion et le développement dans les régions ultrapériphériques de l’Union: application de l’article 349 du traité FUE » pose une nouvelle approche impliquant notamment un « accompagnement personnalisé » des RUP, avec leurs Etats membres de l’Union.
Cette nouvelle stratégie repose sur quatre piliers.
- Une nouvelle gouvernance fondée sur un partenariat solide afin de renforcer la coopération entre les régions ultrapériphériques, leur État membre respectif et la Commission pour mieux prendre en compte les intérêts et contraintes qui leur sont propres. Un dialogue plus étroit sera instauré dans le cadre de l’élaboration et de la mise en œuvre des politiques des programmes de l’UE.
- S’appuyer sur les atouts des RUP. Cette stratégie encourage les régions ultrapériphériques à faire un usage stratégique de leurs atouts au moyen d’investissements dans des domaines générateurs de croissance comme l’économie bleue, la recherche, l’économie circulaire, la science spatiale, le tourisme responsable ou l’énergie renouvelable. Cette stratégie favorisera également la modernisation des secteurs traditionnels pour assurer le développement durable du secteur de la pêche, la modernisation de la production agricole ainsi que l’augmentation de la compétitivité du secteur agricole.
- Favoriser la croissance et la création d’emplois. En raison de leurs taux de chômage plus élevés, les régions ultrapériphériques nécessitent des mesures spécifiques pour accroître l’employabilité et améliorer les compétences, notamment chez les jeunes. Cette stratégie entend renforcer les échanges dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la formation. Elle apportera également un concours financier à la mobilité des jeunes et des professionnels dans le cadre d’Erasmus + et du corps européen de solidarité.
- Intensifier la coopération. Cette stratégie contribuera à renforcer les liens avec les pays voisins en promouvant la planification de projets stratégiques communs.
« Par ailleurs, (parce que) de meilleures liaisons de transport sont cruciales au développement économique de ces régions et à la qualité de vie des habitants, la Commission lancera une étude pour déterminer les besoins de connexion et s’engage, dans les cas justifiés, à cofinancer des ports et aéroports ».
Parallèlement, la Commission européenne a examiné les progrès accomplis dans la mise en œuvre des stratégies précédentes par l’intermédiaire des mesures spéciales adoptées dans les différentes stratégies européennes.
L’enjeu est de taille pour les RUP qui se trouvent à mi-parcours de l’engagement des Fonds de la politique régionale qui leur ont été attribués. En effet, entre 2014 et 2020, les Fonds structurels et d’investissement européens et un régime spécial pour l’agriculture (le règlement POSEI) octroient près de 13,3 milliards d’EUR aux régions ultrapériphériques, ce qui constitue une source d’investissements et de création d’emplois importante. Ce montant comprend deux dotations spécifiques dans les secteurs du développement régional et de la pêche, visant à compenser les coûts supplémentaires supportés par ces régions en raison de leur situation particulière.
Pourtant, malgré les progrès accomplis au fil des années, les régions ultrapériphériques restent confrontées à de grandes difficultés, encore accentuées par la mondialisation et le changement climatique. Leur développement est fragile. La plupart d’entre elles doivent investir dans des infrastructures de base (telles que les routes et les installations de traitement des eaux et des déchets) et leur économie est tributaire d’un nombre limité de secteurs d’activités. Leurs contraintes, notamment l’éloignement, entraînent des coûts supplémentaires pour leurs entreprises, en particulier les petites et moyennes entreprises (PME), entravant ainsi leur participation pleine et entière au marché unique.
Dans son discours d’ouverture à la Session interne de la Conférence des RUP le 26 octobre à Cayenne (Guyane), le Président de la Collectivité Territoriale de Martinique, M. Alfred Marie-Jeanne a exprimé sa déception face un texte au final sans grande ambition : son « enthousiasme a vite fait place à un sentiment plus mitigé au regard des propositions et orientations formulées en réponse à notre Mémorandum ». Il s’indigne des excuses données par la frilosité de la Commission: « Devrons-nous encore donner preuves sur l’urgence de nos réalités et faire preuve encore de patience ? ».